Monsieur Zitte
Pièce en 3 actes
2 hommes, 1 femme
85 minutes
décor unique
Monsieur Zitte a une distribution particulière : deux hommes de cinquante ans et une jeune femme de vingt ans. Les rôles sont riches et exigeants pour des comédiens, qui doivent explorer des sentiments profonds tout en gardant une touche d'humour pour éviter à tout prix de glisser vers le pathos. L'aventure peut et doit être joyeuse !
Monsieur Zitte est en fugue. A cinquante ans, sa première alerte cardiaque, au lieu de le confiner dans une agonie prudente, le pousse vers une nouvelle vie aventureuse.
Le hasard le conduit en Bretagne, chez Francis, un vieil ami d'enfance, veuf mystérieux et fantasque. Pour la première fois depuis trente ans, Zitte s'éloigne de son petit boulot qui l'étouffe et de sa femme qui l'écrase. Il respire ! Et quand arrive la fille de Francis, belle, provocante, joueuse, audacieuse, il chavire !
Il découvre la fête... puis la défaite. Avec drôlerie, naïveté et parfois violence, il s'accroche aux vingt ans d'Isabelle. Il en devient pathétique. Mais elle, après s'être donnée, se reprend...
A défaut d'amour, l'amitié revient souffler les idées les plus folles, et les deux hommes décident de partir vers l'Amazonie. Si les rires et les larmes n'ont pas laissé à Zitte un coeur battu...
Extrait...
.../...
ISABELLE - (Elle se rapproche.) Vous êtes fatigué ?
ZITTE - Hein ?
ISABELLE - C'est vrai que vous avez le vin triste ?
ZITTE - (Comme elle s'assied sur le coin de la table près de lui, il se relève et se lance dans un discours sans queue ni tête.) Triste ? Oh non ! Oh non non non ! Surtout pas aujourd'hui ! Je suis un bon vivant, le vin est gai, la chair est joyeuse, la vie est belle ! Le ciel est clair... (Il ouvre la fenêtre.) C'est presque la pleine lune. Un temps à dormir à la belle étoile. Mais faut se méfier. Se méfier des coups de lune ! Vous êtes sensible aux coups de lune ?
ISABELLE - Aux quoi ?
ZITTE - Moi je crois que ça me fait quelque chose. C'est comme une insolation, mais avec la lune. Une inlunation, si on veut. Quand je dors la fenêtre ouverte pendant une pleine lune d'été, eh bien je dors très mal, et le lendemain j'ai comme une espèce de gueule de bois. A la belle étoile, je crois que ce serait terrible !
ISABELLE - C'est vrai ?
ZITTE - Mais je ne sais pas. Je n'ai jamais dormi à la belle étoile. (Il referme la fenêtre.) Moi, il faut que tout soit fermé, sinon je ne peux pas fermer l'oeil... C'est la guerre parce que Jeanine, elle dit qu'elle étouffe. Alors parfois l'été je dors sur le canapé, dans le salon.
ISABELLE - Pourquoi me racontez-vous tout cela ?
ZITTE - Hein ? Oui, bien sûr, ça vous est égal. C'était juste pour causer, excusez moi... (Un silence.)
ISABELLE - Vous n'aimez pas le silence ?
ZITTE - Si, quand je suis avec Jeanine, parce que c'est rare ! (Il rit.) Mais avec les gens, il faut parler, sinon ça fait de la gêne, ou de l'ennui.
ISABELLE - Vous ne croyez pas que souvent la seule présence pourrait suffir ? Vous ne croyez pas aux regards, aux sourires ?
ZITTE - Oh, les sourires, je n'arrive jamais à savoir si c'est de la gentillesse, de la politesse ou de la moquerie. Et je ne sais pas lire dans les yeux des autres... (Il sourit.) Ni écrire avec les miens !
ISABELLE - C'est vrai que vous ne lisez rien du tout dans mes yeux... par exemple ?
ZITTE - (Intimidé, il cherche à éluder la question.) Non... (Elle se rapproche un peu.) En faisant un effort, je pourrais peut-être y distinguer ce que j'aimerais y voir... mais sans doute pas vos pensées réelles... Un peu comme si je regardais mes désirs dans une glace.
ISABELLE - (Avec un large sourire : ) Poète...
ZITTE - Vous me faîtes dire n'importe quoi !
ISABELLE - ... Et c'est quoi, ce que vous aimeriez voir dans mes yeux ?
ZITTE - C'est... C'est... Je ne sais pas, vous voulez encore me faire dire des bêtises...
ISABELLE - C'est quoi, vos désirs ?
ZITTE - (Après hésitation, il se rend aux avances d'Isabelle, et lui fait face en souriant timidement.) ... Vous n'avez qu'à lire dans mon regard ?
ISABELLE - (Très près de lui : ) C'est écrit petit !
ZITTE - Ben, là, dans ma tête... c'est pas des slogans ! C'est des petits mots qu'on n'ose pas trop...
ISABELLE - Des petits mots fragiles, qu'on retient en équilibre au bout du coeur... qu'on a peur de pousser vers l'inconnu...
ZITTE - (Son sourire s'élargit, il prend confiance.) Poète !... (Il pose une main sur l'épaule d'Isabelle, embrasse légèrement la jeune fille sur la joue.)
ISABELLE - (Elle se dégage doucement, puis s'éloigne franchement.) Vous me faîtes faire des bêtises... (Zitte, décontenancé, reste pantois. Isabelle, émue sans doute, et ne sachant quoi dire, lui donne un bref sourire.)
ZITTE - De quoi j'ai l'air ? De quoi j'ai l'air ? Un vieux type un peu saoul qui fait des bisous maladroits à une jeune coquine...
ISABELLE - Ne dîtes pas cela...
ZITTE - Vous n'êtes pas une jeune coquine ?
ISABELLE - Si... Mais vous n'êtes pas un vieux type.
ZITTE - Qu'est-ce que je suis, alors ? Hein ? De quoi j'ai l'air ? “ Vous n'êtes peut-être pas très beau, très jeune, très séduisant, mais vous avez un certain charme ” , non je vous en prie, ne me servez pas ce genre de couplet. Je n'ai pas besoin de pitié. Je n'ai que ce que je mérite. Une petite gueule terne de caissier qui attend la retraite , un coeur essoufflé dans un corps fatigué, fatigué à rien faire ; et un cerveau gaga qui croit se redonner une jeunesse en courant après des aventures idiotes... Je maintiens ce que j'ai dit : je suis un vieux type ! (Il se laisse tomber dans un fauteuil.) Je vous remercie tout de même de vos gentillesses, mademoiselle Isabelle. Même si je ne suis pas tout à fait certain que c'était de la gentillesse. Vous croyiez jouer avec le feu, mais, si vous saviez comme dans le fond je suis froid... Ça doit être à force de vivre près d'un volcan ! Jeanine ! Je suis devenu comme un glaçon, pour tempérer... Je suis un grand glaçon qui fait semblant de fondre pour les petites filles ! Vous ne dîtes rien ?... En “ psycho ” , vous n'étudiez pas les glaçons ? (Isabelle, qui tournait le dos, immobile depuis une minute, se retourne et regarde Zitte.) ... C'est sans doute en fin d'études, parce que c'est dur à comprendre, un glaçon. C'est dur. Ça vous glisse entre les doigts... C'est un bloc insaisissable, et triste. Et quand on veut le réchauffer, ça se met à pleurer... (Il se relève.) Je vous ennuie ?
ISABELLE - Non non.
.../...