Tournée d'adieux
Comédie en 3 actes
3 hommes, 11 femmes
90 minutes
décor unique
Tournée d'adieux est une comédie parfaite pour les compagnies de théâtre amateur. Beaucoup de personnages, dont une majorité de femmes ! Les rôles sont à peu près égaux. Il y a une situation à la fois cocasse et émouvante, des effets comiques en grand nombre, des personnages attachants. Un vrai bonheur de comédien(ne)s, et un plaisir assuré de spectateurs !
Le bar de l’Avenir est à l’angle de l’impasse de l’avenir, en face du magasin des Pompes Funèbres. Sa patronne est une femme énergique qui lutte pour empêcher le déclin de son commerce. Le bistrot a ses habitués. Il y a notamment les deux employés des PFG, duo improbable de joyeux lurons en costumes lugubres, témoins compatissants de bien des douleurs, mais toujours à l’affût de plaisanteries plus ou moins discrètes. Quelques clientes aussi viennent régulièrement : une alcoolique joyeuse et collante qui se mêle de tout, une grande bourgeoise déchue, une dépressive qui vient chercher un peu de chaleur, une femme trompée et une femme trompeuse qui aiment venir bavarder loin de leurs foyers instables, une danseuse aux genoux trop fragiles…
Au coin de l’impasse de l’Avenir, c’est donc tout un petit monde fragile qui va tenter d’éclairer des jours trop sombres. Chacun et chacune a des adieux à faire : adieu le travail, adieu l’amour, le rêve, la santé, l’alcool… Le bar va devenir un théâtre où vont s’échanger les idées les plus folles pour transformer les livres qui se ferment en pages qui se tournent.
Extrait...
La scène représente une partie d’une salle de café, pas très moderne. Le nombre de tables, de chaises et de banquettes peut varier selon les dimensions de la scène. Le comptoir est en coulisse côté jardin.
Au lever de rideau, deux clients sont attablés face à face : Jacky et Francky. Ils ont la tenue triste, impeccable et réglementaire des employés des Pompes Funèbres en service. A l’arrière, Titine est assise face au public, son ballon de rouge presque vide sur sa table. Sur un côté se trouve la Marquise, grande femme distinguée et excentrique, mais dont les vêtements semblent tout de même plutôt défraîchis. Elle a un petit verre de liqueur.
Francky – (Il appelle :) Elle dort, la patronne ?
Jacky – Vaudrait mieux pas. Parce qu’on n’a quand même pas trop de temps.
Francky – Mais si. T’inquiète, il va pas se sauver, ton macchabée… (Un temps.)
Titine - (Elle appelle de même.) Elle dort, la patronne ? (Les hommes la regardent.) Moi j’ai tout mon temps, mais j’ai encore soif. (Fort) Le patronat, au lieu de servir le peuple, il doit compter sa caisse ! Non ?
Gigi – (Off) C’est vite compté, la caisse, par les temps qui courent ! (Elle entre.) Un autre ? (Titine lui tend son verre vide.) Et vous, les Funèbres, comme d’habitude ? Deux bières ?
Jacky – Avec deux croques ! (Il se marre un peu, Gigi sourit en haussant les épaules, et repart.)
Titine – Vous en avez pas marre de faire toujours les mêmes blagues ?
Francky – Non. C’est une contrainte du métier, ça. Un gars qui bosse aux Pompes Funèbres, il peut pas demander un jus d’orange et un sandwich. C’est forcément une bière et un croque.
Marquise – Qui donc enterrez-vous, aujourd’hui ?
Jacky – Un tordu.
Titine – Ah. Vous lui avez fait un cercueil en L ?
Francky – Non, en T. Dans un cimetière, c’est mieux si c’est hanté.
Titine – Ah. Ça aussi, c’est une blague du métier ? Non mais pourquoi vous dîtes c’est un tordu ?
Jacky – Le gars, il a voulu un vrai corbillard, à l’ancienne. A cheval. Le bruit des sabots, la charrette qui grince, le catafalque,
Francky – le crottin.
Jacky – Oui, pour que la veuve marche dedans. (La patronne est revenue. Elle sert les bières et le verre de rouge.) Merci. Alors qu’on a un Mercedes flambant neuf.
Francky – Noir-gris-grenat.
Gigi – Noir-gris-grenat. Des couleurs qui font rêver, c’est sûr.
Marquise – Et le cortège est à l’ancienne, aussi ? Tout le monde habillé comme en 1900 ?
Jacky – Non, quand même pas. C’est pas un bal costumé, non plus !
Francky – N’empêche que nous, ça nous complique le boulot. Le cheval, on n’a pas l’habitude.
Gigi – Hé, faut pas exagérer, on ne vous demande pas de faire les jockeys !
Francky – Heureusement encore ! Non, mais moi je dis que pour les adieux, faut faire sobre.
Jacky – Un quart d’heure de Mercedes, deux phrases de curé, une petite couronne : ça sert à rien de s’enliser dans le chagrin. Faut marquer le coup, je dis pas non…
Francky – Sinon on n’aurait plus de boulot…
Jacky – mais c’est pas bon d’en faire des longues cérémonies inoubliables.
Titine – Vous, on sent que vos heures sup sont pas payées, hein ?
Marquise – Les cérémonies, les commémorations, les hommages… Mon Dieu, tous ces rituels pour nourrir la nostalgie ! Ce besoin d’encombrer les livres de nos vies par des dizaines de marque-pages ! Moi, si je m’étais laissé rider par le souvenir et la solennité, je ne serais plus belle à voir !
Titine – Vous avez bien raison, Marquise. Avec tout ce qui vous est arrivé, beaucoup passeraient leur temps à se lamenter en regardant dans le rétro. Ou s’en remettraient à Dieu. Moi, je crois que je me serais mise à boire.
(Marie entre. Elle a un imperméable assez moche, l’air triste et un pansement sur le menton. Elle boîte un peu.)
Gigi – Bonjour !
Marie – (sans entrain) Bonjour. (Elle va s’asseoir à une table libre. Elle garde son imperméable.)
Gigi – Vous prenez ?
Marie – Un café. (Gigi sort. Les trois autres regardent la nouvelle avec un peu d’insistance. Un temps.) Je me suis coupée en me rasant.
Titine – (Comme si elle le croyait :) Ah.
Francky – (Sérieux aussi) C’est des choses qui arrivent…
Marie – (soupir) Faut vraiment que j’arrête l’humour, ça marche jamais.
Jacky – Ah si, c’était drôle. Mais nous on est pinces sans rire.
Francky – Contrainte du métier : pas le droit de rigoler.
Marie – Non, en fait, j’ai fait du cheval trop près d’une branche.
Francky – Ah, c’est bien ce que je disais : le cheval, ça complique !
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