Enlèvement à domicile
Comédie en 3 actes
2 hommes
80 minutes
décor unique
Enlèvement à domicile est un huis clos en duo, avec des éléments de pshychologie bien définis, mais la priorité est donnée à l'efficacité comique. Les acteurs peuvent pousser à plaisir vers la caricature, la situation étant particulièrement improbable. Mais la vraie vie nous propose parfois des situations encore plus invraisemblable, non ?
Jojo, chômeur, alcoolique, s'enfonce dans une sordide misère morale et matérielle. Donald, jeune, riche, étouffe sous la fortune et les mondanités. Seules des solutions extrèmes peuvent interrompre la dégradation du premier et l'ascension du second. Jojo prépare le rapt lucratif de Donald, au moment même où celui-ci se lance dans le terrorisme.
Ils se retrouvent ainsi face à face, arme contre arme, chacun ayant envoyé son message de preneur d'otage et sa revendication... Qui sera l'otage de qui ? Situation burlesque, affrontement absurde, du tête à tête... au coeur à coeur ? Ennemis mortels ou compagnons de déveine ? Lutte des classes ou solidarité humaine ?
Mais que fait la police ? Le huis clos dure deux heures, deux jours... Les nerfs sont des élastiques, et comme il faut bien tromper l'attente, des confidences s'achappent... Leur invraisemblable rencontre n'est peut-être pas due qu'au destin farceur. Et si le hasard s'appelait Monique ?
Enfin la police intervient, en n'y comprenant rien !
Extrait...
.../...
JOJO - Fais pas le con. Moi j'ai rien à perdre, toi t'as rien à gagner.
DONALD - (Avançant d'un pas : ) Cette prise d'otage est une affaire strictement personnelle qu'il m'appartient de mener à bien coûte que coûte, et je vous serais reconnaissant de ne pas en contrecarrer le déroulement.
JOJO - Erreur, cher monsieur, cet enlèvement c'est mes oignons ! Alors tu t'écrases et tu me contrecarres pas !
DONALD - La police n'aura que mon message. Seule ma prise d'otage sera reconnue officiellement.
JOJO - (Il sort une enveloppe de sa poche et la jette par la " fenêtre " de l'avant-scène.) Je crois que l'enlèvement du fils des textiles Bourrier intéressera davantage les flics.
DONALD - Mais si le ravisseur est un vulgaire inconnu comme vous, ils ne perdront pas de temps en formalités. Votre cas sera expédié comme un banal fait divers.
JOJO - Mais je suis un banal fait divers ! Chômeur, divorcé, alcoolique, un pauvre Jojo en faillite de tous les côtés, prêt à faire n'importe quoi pour éviter la liquidation. Enlèvement, crime, suicide... N'importe quoi !... Et toi, avec tes petits mouchoirs Cardin et ton après-rasage parfumé, tu viens encore m'emmerder pour réclamer je sais pas quoi Durousy machin ! Non mais, tu as quelque chose à me réclamer, à moi ? Hein, dis, t'en as marre d'être riche ? Tu veux ma misère, pour rigoler un coup ? Ou tes gadgets te suffisent plus, tu veux des jouets humains ? Hein, pourquoi t'es venu prendre en otage un vulgaire inconnu comme moi ? Pourquoi moi ? Merde !...
DONALD - (Emu, embarrassé : ) Le... le hasard.
JOJO - Ben merde, le hasard, il vient un peu trop souvent frapper à ma porte ! Et chaque fois pour m'emmerder !
DONALD - Vous savez, monsieur Pichon...
JOJO - Tu peux m'appeler Jojo, comme tout le monde, ça me vexe pas.
DONALD - Vous savez, heu... Jojo... Je vous ai choisi parce que vous me sembliez être un otage facile... Je voulais une personne anonyme, isolée, sans défense...
JOJO - Y a que sur le dernier critère que tu as tout faux.
DONALD - C'est ma première prise d'otage, alors j'ai cherché une proie et une revendication... de débutant. Je n'allais tout de même pas commencer par séquestrer le pape pour réclamer la suppression de l'enfer !
JOJO - Tu préfères attaquer un innocent pour sauver un coupable : tu as raison, dans le monde d'aujourd'hui, c'est bien plus facile que le contraire.
DONALD - J'ai l'impression que vous ne me comprenez pas... Mon action n'a absolument rien de politique ni de sociologique. C'est une affaire qui ne concerne que moi et moi seul, un problème purement intérieur à régler entre mon apparence et ma réalité. Ce coup d'éclat ne vise à éclairer que moi-même. Je n'ai pas de message, pas d'innocent, pas de coupable...
JOJO - Ben merde, et moi là-dedans, qu'est-ce que je suis ? Et puis c'est pas la peine de me baratiner avec ta littérature ! Mon apparence et ma réalité ! Moi mon apparence est celle d'un pauvre type foutu, et ma réalité c'est que je suis un pauvre type foutu ! Toi tu as l'air d'un riche petit con, et tu es un riche petit con ! Merde alors ! Et on va pas passer deux heures à se torcher des discours de psychologie de mes fesses ! Mon petit Donald, tu me donnes gentiment ton joli pistolet tout neuf, tu vas gentiment te reposer sur le matelas, et tu la boucles en attendant la police et ton papa.
DONALD - Non ! Jojo ! Non ! Votre misère ne vous assure pas de votre bon droit ! Vous n'avez pas le monopole du malheur, et vous ne bénéficiez d'aucune priorité dans l'exercice de la prise d'otage !
JOJO - Du calme du calme !
DONALD - Je vous adjure de renoncer à vos desseins ridicules. Mon père est un homme d'affaire, un grand, un dur. Il lui serait inimaginable de perdre son honneur et son argent en cédant à un chantage, même pour son fils. Et comme la police vous tirera comme un lapin à la première occasion, aucun miracle ne pourra sauver votre opération suicidaire.
JOJO - Tu crois que j'aurai plus de chance comme otage que comme ravisseur ?
DONALD - Joël Pichon, rendez vous !
JOJO - Ben merde, un terroriste qui parle comme un flic !
DONALD - Lâchez votre arme et...
JOJO - Arrête tes conneries !!! (Il décoche un brusque coup de poing au ventre de Donald. Celui-ci, désarçonné, met un genou à terre et cherche sa respiration. Il veut reprendre son arme tombée devant lui, mais Jojo lui écrase la main avec le pied et ramasse lui-même le pistolet.) T'as compris ?
DONALD - ... Votre opération s'annonce très mal, Jojo. Bientôt la police sera sous la fenêtre et les négociations au fond de l'impasse. (Pendant que Donald parle, à genoux, Jojo range le pistolet dans sa poche, garde le sien en main, va prendre une bouteille de rouge, boit un coup au goulot...) Vous allez vous rendre ? Me tuer avant ?... Cela plairait peut-être à mon père, finalement. il pourrait jouer au martyr, porter lourdement le deuil d'un enfant tombé à vingt-cinq ans sous les balles d'un forcené... Dans les soirées mondaines, ma mère exhiberait son chagrin, avec sa belle robe noire et son chapeau à voilette...
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