Mini ZUP
Comédie en 8 tableaux
5 garçons, 6 filles
(tous d'environ 20 ans)
70 minutes
plusieurs décors légers
Mini ZUP convient particulièrement aux troupes lycéennes ou universitaires, ou bien aux ateliers théâtre pour adolescents. La distribution est assez nombreuse : 11 rôles, d'importances variables. La situation et les personnages peuvent porter à tirer vers la caricature si on cherche les effets comiques et un second degré pour dénoncer les clichés. Mais il est aussi possible d'opter pour une mise en scène assez réaliste.
Une grande école de commerce international propose à ses étudiants des "stages de dynamisation" : traversée de désert, chasse aux requins, parapente au Kilimandjaro... ou semaine de survie dans une ZUP de banlieue ! Quatre jeunes bougeois partent ainsi découvrir la réalité des squatts et du racket, la drogue, l'oisiveté, la misère matérielle et morale. L'affrontement avec les jeunes de la cité devient vite malsain. Les rapports humains ne sont que des rapports de force, entachés d'intolérance, de préjugés, et de sordides histoires d'argent. Les bourgeois boient leurs privilèges s'effondrer et préfèrent se cacher que risquer une improbable intégration.
C'est alors qu'interviennent deux jeunes chômeurs, ravis de jouer les arbitres, puis les metteurs en scène de ces confrontations insolites. Leur humour décontracté transforme en gag le moindre incident. Mais un élément nouveau viendra compliquer leur scénario : l'amour. Imprévu, incontrôlé, plus fort que les conflits de classe, de culture ou d'intérêt... Apparemment.
Extrait...
.../...
(Marie-Odile sort. Léa range sa brosse à dents, son dentifrice et son peigne dans un petit sac plastique, d’où elle retire un gant de toilette et un bout de savon. Elle enlève son blouson et déboutonne sa chemise en scandant timidement : ) « Oh que ça va être bon oui ça va être super de se débarbouiller avec de l’eau glacée hé hé. Le seau est trop petit y a quasiment pu d’eau je fais qu’ le bout du nez tant pis si j’ pue des pieds hé hé. » (Elle enlève sa chemise - elle a encore un caraco, plutôt chic, en dessous - et commence à se laver le visage et le cou quand Luc arrive derrière elle, tranquille et silencieux. Un temps. Il la regarde.)
Luc - Alors, on se rince l’œil ?
Léa - (Surprise, elle se retourne brusquement, et renfile sa chemise.) Heu... Jamais tu frappes avant d’entrer ?
Luc - Si, quand il y a une porte. (Un temps. Petite gêne. Léa s’essuie le visage avec un coin de couverture. Regards.) Normalement, je ne m’impose pas dans les salles de bain des dames, mais là... j’ai presque pas fait exprès...
Léa - (Elle reboutonne sa chemise.) Ne t’excuse pas. Tu sais, j’ai déjà compris que dans une Z.U.P., il fallait un peu renoncer à son intimité. Il y a toujours une oreille derrière ta cloison et un œil derrière ta fenêtre.
Luc - C’est pas un problème : les gens voient sans regarder, et entendent sans écouter. (Un temps.)
Léa - Si tu venais te faire payer l’apéritif, je suis désolée...
Luc - Non, je venais juste comme ça, voir si tu allais bien...
Léa - Ça va plutôt mal, je te remercie.
Luc - Ah... Alors j’arrive à pic. SOS Moral, bonjour ! C’est vous qui avez appelé pour un moral à zéro ? Je vous le regonfle à combien ?
Léa - (amusée : ) Maximum !
Luc - Hou là ! A plat en arrivant, gonflée à bloc en repartant... c’est pas le petit dépannage, ça ! Attention la facture !
Léa - L’argent, c’est pas le problème.
Luc - C’est quoi alors, le problème ?... (Un temps. Léa s’éloigne, hésitant à se confier.) Si la question est trop indiscrète, tu peux utiliser ton joker.
Léa - Tu as le moral, toi, à vivre dans cette zone ?
Luc - Je sais pas. Je ne me pose pas la question.
Léa - Facile ! C’est pas en évitant de se poser les problèmes qu’on risque de trouver les solutions !
Luc - Les solutions à quoi ?
Léa - A cette vie de con ! Les uns sur les autres. Les uns contre les autres ! A s’abrutir, à se taper sur les nerfs, et à tourner en rond dans cette bétonnière où l’horizon est bouché de partout !
Luc - Oh, c’est quoi, cette littérature ?
Léa - Deux jours seulement que je traîne dans cette misère, et ce qui me dégonfle déjà le moral, c’est de n’avoir rencontré que des gens comme toi : pas de question, pas de réponse. « Qu’est-ce que vous en pensez ? » - « Bof, moi je ne pense pas ». « Vous en êtes content, de votre vie ? » - « Oh, ça m’empêche pas de vivre ».
Luc - Dis, si c’est pour une leçon de morale, je suis pas preneur. Je ne sais pas trop d’où tu sors, mais sans doute pas d’un endroit où tu peux te permettre de critiquer les gens de la Z.U.P., qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont !
Léa - (Après quelques hésitations, elle se radoucit et avoue : ) Mon père est avocat, ma mère est pianiste, je me prépare à une brillante carrière dans le droit commercial international, et mon école a eu l’étrange idée de m’expédier en stage de survie pour me muscler le caractère !
Luc - (Imitant Léa : ) Ben, mon papa, il est routier, ma maman elle garde les mômes des voisins, et moi, comme j’ai pas eu de diplôme à la sortie de l’école, à la place on m’a donné une carte de fidélité à l’A.N.P.E.. Malheureusement, j’ai pas trouvé de stage de survie dans les quartiers chics. Remarque, ça m’aurait bien plu. Une brique d’argent de poche, une Mercedes, une suite au Palace, et accroche-toi Lucky, faut tenir le coup toute la semaine ! (Un temps. Regards.)
Léa - (Ramassant son blouson : ) Je me sens ridicule avec ce déguisement.
Luc - Normal. Tu sais, même moi, avec un costard blanc, une cravate en soie rose et des godasses en peau de zébu, je me sentirais bizarre. Et j’aurais trop la trouille de faire des taches en renversant le caviar.
Léa - Moi maintenant, j’ai peur de paraître trop propre ! En buvant au goulot, je fais bien attention d’en laisser couler la moitié sur le menton, et quand je tartine mon pâté j’essaie d’en profiter pour me beurrer les manchettes en passant.
Luc - Oh là, tu fais du zèle. Les banlieusards ne sont pas des clochards !
Léa - Je sais. Mais un portrait juste doit passer d’abord par une esquisse grossière, souvent proche de la caricature. Laisse moi le temps d’affiner mon nouveau personnage...
Luc - Affine... Affine... Tu peux me prendre comme conseiller technique, si tu as besoin...
Léa - Bon, allez, on parle d’autre chose, parce que là, on veux faire des belles phrases, c’est nul, sans intérêt, on ne va pas disserter deux heures sur mon blouson et mon espèce de personnage à la noix. Je suis ridicule, la cause est entendue, n’en parlons plus. Et de toute façon, assumer son ridicule, je suppose que c’est aussi prévu pour muscler le caractère... (Elle range les seaux dans un coin. Un temps.)
Luc - Tu devrais sortir, ce soir.
Léa - Pas envie.
Luc - Pour le moral.
Léa - Si c’est pour fumer dans les caves ou voler des motos...
Luc - Faut pas croire que la délinquance est notre seule distraction.
Léa - C’est quoi, tes distractions ?
Luc - Ce soir, par exemple, ma distraction, c’est toi... Et c’est parfaitement légal.
Léa - Ah... Et que dois-je faire pour te distraire ?
Luc - Ce que tu veux. Rien, si tu veux rien faire. Tu peux simplement finir de te laver le museau dans le seau, ce sera déjà très distrayant !
Léa - J’hésite. Tu es sincère et honnête, ou tu te fiches de moi ?
Luc - Qu’est-ce que tu as envie de croire ?
Léa - (Elle le regarde, puis sourit et décide : ) D’accord, on sort. (Elle enfile son blouson.)
Luc - Je connais un petit restaurant sur la plage, sous les cocotiers, homard grillé, face au coucher de soleil, tu m’en diras des nouvelles ! (Il lui tend la main. Elle hésite quelques instants, puis la prend. Ils sortent.)
.../...