Projets et regrets
suivi de
Progrès et rejets
Comédie à deux faces
2 femmes
90 minutes
décor à transformation
Projets et regrets, suivi de Progrès et rejets, est un duo féminin pour comédiennes ambitieuses et expérimentées. Les rôles sont riches de sentiments, de doutes et d'élans, parsemés de touches d'humour.
Un soir d'octobre sur le front de mer désert d'une station balnéaire. Françoise a cinquante ans, un mari trop absent, des grands enfants qui lui échappent, un restaurant qui lui pèse... Jeanne a quarante ans, n'a ni mari ni enfant, court le monde en tant que reporter. Le première rêve de décoller, la seconde aimerait se poser.
Les deux femmes se retrouvent côte à côte à regarder le coucher de soleil. Le téléphone de Françoise sonne, et c'est le début de la révolution ! La présence de Jeanne, avec son regard de journaliste, son sens du questionnement, sa caméra, va pousser Françoise à partir dans un changement de vie qu'elle n'aurait jamais osé concrétiser toute seule. L'aventure décortique, sur le ton de la comédie, les rapports entre celle qui agit et celle qui observe. Qui influence qui ? Qui manipule qui, peut-être ?
Mais comme il suffit de si peu de chose pour qu'une action parte dans un sens ou dans un autre, pour le deuxième volet c'est le téléphone de Jeanne qui sonne... Et l'histoire alors est bien différente.
Extrait...
Une station balnéaire hors saison. Au bout du front de mer, le dernier banc face à l’océan. La lumière de ce soir d’octobre est encore belle, la fraîcheur est déjà là.
Françoise est assise au bord du banc. Elle a un blouson et une écharpe légère. Le temps semble paisible, mais elle est encore décoiffée par le petit vent de la journée. Elle mange un sandwich enveloppé dans un mouchoir en papier. Une bouteille d’eau est posée à ses pieds. Elle regarde la mer.
Françoise – (Elle marmonne pour elle-même, la bouche pleine :) Un ‘ruc ‘ai ‘amais fait, ‘est ‘arler ‘out’ seule… (Elle finit d’avaler et répète en articulant :) Un truc que j’ai jamais fait, c’est parler toute seule… (Un temps, puis, comme une évidence :) Y a plein de trucs que j’ai jamais fait… (Elle regarde rapidement autour d’elle avant d’oser lancer, amusée :) Alors, la mer, on s’agite un peu ? C’est mou ce soir, on dirait un lac ! (Contente d’elle, elle croque son sandwich… Un temps, puis un regard surpris vers l’horizon. Un coup d’œil derrière elle, et elle fait un petit signe de la main. La personne en face doit insister, car elle finit par répondre avec un grand balancement de bras au dessus de sa tête.) On se connaît ?... C’est qui ce type qui me… (Un peu plus fort :) Hi ! My name is Françoise ! (Consciente qu’elle déraille tout de même un peu, mais malgré tout fière de son petit délire, elle redevient sage et anodine.) Remarque, parler toute seule quand on est toute seule, y a pas grand mérite. C’est comme chanter dans sa salle de bain… Enfin, là, ça fait une grande salle de bain, quand même… Mais parler toute seule avec des gens autour, ça, ça doit faire quelque chose. Je sais pas si je pourrais…
(Elle prend sa bouteille et boit une gorgée. Pendant qu’elle regarde la mer, Jeanne arrive derrière elle. Elle va pour traverser la scène, d’un pas de promeneuse, mais s’arrête avant d’être sortie, et décide de venir s’asseoir à l’autre bout du banc. Elle pose son petit sac à dos sur ses genoux.)
Jeanne – (par courtoisie :) Bonsoir.
(Françoise répond d’un bref sourire. Un temps assez long. Toutes les deux regardent la mer… Puis Françoise, d’un air agacé, plonge la main dans une poche de son blouson pour saisir son téléphone portable, qui vient sans doute de vibrer.)
Françoise – Oui ?... Oui, qu’est-ce que tu me veux ?... D’abord tu me parles sur un autre ton, et… (Elle se lève et s’éloigne du banc. Jeanne, pour se donner une contenance et faire semblant de ne pas écouter, sortira un appareil photo et visera la mer – le public -.) J’ai pas le droit de respirer cinq minutes ? Je peux pas… je peux pas… je… Une parenthèse de temps en temps, rien que pour moi ?... Non, pas du tout, alors là… Alors là, si tu crois que je m’inquiète… D’abord, si j’étais vraiment indispensable, il me semble que je serais un peu mieux considérée… On prendrait soin de moi… (Jeanne, innocemment, prend une photo de Françoise sans qu’elle s’en rende compte.) Mais je ne sais pas, moi, tu fais comme moi, un bout de baguette une tranche de jambon, et tu grignotes en attendant le coucher du soleil. A l’autre bout du front de mer, si possible… Je sais pas, j’ai pas d’heure… Bon appétit. (Elle referme son téléphone, plisse les yeux en regardant l’horizon, puis revient s’asseoir.) Excusez-moi.
Jeanne – Oh, de rien.
Françoise – Si, je vous ai gâché un peu de sérénité du soir.
Jeanne – (Un sourire. Un temps…) Sur les bancs face à l’océan, ça devrait être comme au cinéma : obligation d’éteindre son téléphone… Remarquez, votre sonnerie n’était pas dérangeante.
Françoise – Vibreur.
Jeanne – Discret.
Françoise – Mm… C’est vrai que j’aurais pu marcher plus loin pour discuter.
Jeanne – Vous aviez peur que je pique votre bouteille d’eau.
Françoise – Oui. Et celle-là, j’y tiens : cadeau de mon épicier.
(Un temps. Sourires de sympathie.)
Jeanne – C’est complètement désert, la plage, ce soir.
Françoise – Octobre.
Jeanne – Mm… Je vous ai vue tout à l’heure faire des grands signes.
Françoise – Des grands signes ?
Jeanne – C’était pour votre gymnastique ?
Françoise – Ah oui, non, je répondais à un américain qui me faisait coucou, en face !
Jeanne – Ah. (Surprise et amusement. Un temps.)
Françoise – Vous devez me trouver…
Jeanne – Géniale.
Françoise – … Je peux vous dire aussi que mon téléphone commence à se faire vieux : le vibreur ne marche plus du tout.
Jeanne – Ah… C’était aussi l’américain qui vous appelait ?
Françoise – … J’avais envie de savoir ce que ça faisait de parler toute seule en n’étant pas toute seule. Mais comme je n’osais pas vraiment…
Jeanne – Bien joué. Et alors, ça fait quoi ?
Françoise – Là, pas grand-chose. J’étais seulement une petite menteuse qui faisait semblant de téléphoner.
Jeanne – Ressayez sans téléphone, si vous voulez.
Françoise – Ben non, maintenant qu’on a commencé à discuter, c’est plus pareil. Ce serait juste comme si je continuais la conversation et que vous arrêtiez de répondre… (Jeanne regarde fixement la mer.) Vous arrêtez de répondre ?... C’est pas facile. Parce que même si vous ne dîtes rien, ça aura un côté « confidences à une inconnue »… Ou pire, psychanalyse sauvage : je m’allonge sur le banc et vous restez derrière à prendre des notes !
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