Les pieds sur terre
Comédie en 4 actes
3 hommes, 5 femmes
100 minutes
2 décors
Les pieds sur terre est plutôt destiné au théâtre amateur. Il y a un travail intéressant sur les décors et les costumes. Les rôles nécessitent une bonne audace pour oser aller loin dans l'extavagance, mais aussi une certaine subtilité psychologique. L'impact comique de la pièce est assez fort, le troisième acte étant particulièrement délirant.
Une star du cinéma, lassée de la gloire, part seule en voilier vers la pureté du Pacifique sud. Hélas, elle commence par faire naufrage dans le Cotentin. Epuisée, trempée, grelottante, elle débarque au petit matin chez une famille de français moyens. Refusant l'échec, elle persuade ses hôtes de la cacher et de lui permettre de poursuivre son aventure en fabriquant une fausse île déserte au fond du jardin. Case en paille et faux palmier, bouteilles d'eau minérale et poulets rôtis dissimulés dans les buissons : tout s'organise pour la survie et les envies de la naufragée. La famille et les voisins vont même jusqu'à se déguiser en tribu primitive...
Rêve et réalité vont s'affronter, se côtoyer, se mélanger. Parmi les "français moyens", partagés entre fascination et jalousie, complicité et révolte, des petits grains de folie vont germer. Des sentiments nouveaux vont réunir ou vont déchirer...
Mais l'épave est retrouvée et des meutes de sauveteurs acharnés et de journalistes assoiffés se mettent à patrouiller.
Extrait...
NATHALIE - Il était une fois... une superstar, jeune, belle et riche, qui un jour en eut marre de la gloire. Elle eut peur de se faire dévorer par tous les parasites qu'elle traînait derrière elle, par tous les journalistes à l'affût de ses moindres faits et gestes, par tous les artifices inventés pour sortir librement sans être reconnue, par les applaudissements ou les sifflets sincères ou hypocrites. Alors la star se fit construire un beau voilier pour partir seule autour du monde, en quête de pureté, de soleil, d'aventures, d'îles désertes et de paradis oubliés. Peut-être surtout à la recherche d'elle-même...
Le premier août, la star sur son beau bateau quitte le port de Deauville, direction les Antilles, les Galapagos, la Polynésie, l'Océan Indien... Et dans la nuit du 2 août, un petit coup de vent et une erreur de navigation empêchent la star de passer la pointe de Barfleur, et le beau bateau s'éventre lamentablement sur les premiers cailloux de la presqu'île du Cotentin ! Et notre grande aventurière des mers du sud se met à nager, à patauger, à s'enfoncer dans la vase et à se tordre les pieds sur les rochers... Et quand notre héroïne échoue enfin sur une plage, à bout de forces, à bout de nerfs, elle commence à délirer et à s'imaginer qu'elle vient de faire un naufrage terrible, prise dans un cyclone au milieu du Pacifique, qu'elle a miraculeusement franchi une dangereuse barrière de corail, et qu'elle pose le pied sur une merveilleuse plage de sable fin bordée de cocotiers, sur une île déserte pleine de perroquets et de fruits sauvages et de sources limpides. Et quand elle commence son exploration fabuleuse, la première chose qu'elle rencontre derrière la plage... c'est un panneau « Cherbourg 28 kilomètres » !
(Elle retombe en larmes. Jacques et Marguerite s'approchent pour la réconforter.)
MARGUERITE - Allons, ne pleurez pas. Vous êtes déjà assez mouillée comme ça...
JACQUES - Ce n'est pas une tragédie. Juste un bateau abîmé et un peu d'amour propre froissé. Ce sera vite réparé...
Mme CARREAU - Et puis je ne comprends pas : c'est tout de même moins grave de faire naufrage à 28 kilomètres de Cherbourg que sur une île déserte! Ici au moins vous ne craignez pas la faim ni la soif, les scorpions ou les tribus indigènes. Vous êtes tout de suite secourue, vous pouvez téléphoner à vos parents, à votre assurance...
NATHALIE - Décidément, madame... Vous êtes poète, vous.
Mme CARREAU - Je ne suis peut-être pas une grande artiste comme vous, mais ça ne m'empêche pas d'avoir du coeur, et d'aider ceux qui ont besoin !
NATHALIE - Je n'ai besoin de rien.
Mme CARREAU - Là, permettez-moi de vous dire, dans votre situation, c'est de l'orgueil mal placé.
NATHALIE - Je n'ai besoin que d'une île déserte...
Mme CARREAU - Bouh, ce que c'est compliqué, les grandes vedettes !
MARGUERITE - Venez, je vais vous donner des vêtements secs.
NATHALIE - C'est ça. Et puis une serviette, un peigne, une brosse à dents et des pantoufles. C'est bien, vous êtes aussi romantique que votre mère.
JACQUES - Ecoutez, on ne va quand même pas vous laisser grelotter, sangloter et marcher sur une botte sous prétexte que ça ferait plus romantique ! Et on ne va pas vous balancer des seaux d'eau glacée au cas où vous commenceriez à sécher, rien que pour faire de la poésie ! Revenez les pieds sur terre, enfin !
NATHALIE - Mais je ne veux pas avoir les pieds sur terre !
JACQUES - Quand on n'a pas le pied marin, on n'a pas le choix. (Un silence ponctue cette boutade aigre-douce. Nathalie regarde successivement les trois personnes qui l'encadrent.)
NATHALIE - Bon, je me rends... L'aventurière des mers du sud est faite prisonnière par une tribu d'autochtones. Poussée de force dans un cachot étroit, muni de serrures et de barreaux, appelé “ salle de bain ”, elle y sera séchée, frictionnée, coiffée et habillée selon la mode indigène.
MARGUERITE - Allez, venez, Nathalie... (Les deux jeunes femmes vont vers la porte de droite.)
Mme CARREAU - Reprenez vos esprits, refaites-vous une santé, fouillez dans la lingerie, et revenez en beauté.
NATHALIE - ...Vous alors, ce que vous êtes poète...
(Marguerite et Nathalie sortent à droite.)
Mme CARREAU - Ben dame ! (Un temps. Puis elle va remettre de l'eau à chauffer.) Bon c'est pas tout ça, faut pas oublier de déjeuner.
JACQUES - Quelle histoire ! Le plus incroyable, c'est que ça tombe sur nous !
Mme CARREAU - Oh moi ça ne m'étonne pas vraiment. Vous savez, ici, on est quand même bien placé, pour les naufrages. C'est sûr que chez vous, à Montluçon, vous n'avez pas cette chance !
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