Cellule grise
Pièce en 5 actes
2 hommes
85 minutes
décor unique
Coup de coeur Avignon Off 2013 - Lauréat comédie dramatique
"Cellule grise" fait partie des premiers textes édités par les éditions du Off.
Le théâtre est un artisanat dont le premier outil est une plume et le premier ouvrier un auteur. Le festival OFF, qui fait de la ville d'Avignon le plus grand théâtre du monde, propose chaque année davantage de spectacles et donc davantage d'auteurs, célèbres pour certains, simplement connus pour d'autres. Il arrive aussi que des dizaines de textes, qui pourtant rencontrent et séduisent des milliers de spectateurs du OFF, ne soient jamais publiés. Avec La librairie Théâtrale, que nous voulons remercier ici, nous avons voulu relever le défi. Nous sommes fiers aujourd'hui de présenter « Les Editions du OFF ». Cette nouvelle collection permettra que les meilleurs textes, les plus ardents, les plus prometteurs rencontrent et séduisent d'autres publics, d'autres interprètes, d'autres metteurs en scène qui prolongeront leur vie, la transformeront et aideront peut-être ces auteurs non édités jusqu'alors à entrer dans le patrimoine de demain.
Puissent ces éditions sceller le triomphe de ce moment unique.
Greg Germain
Président d'Avignon Festival et Compagnie
Samuel, professeur de français, a une trentaine d'années. Responsable d'un tragique accident, il a été condamné à six mois de prison. Mais à sa libération, un magistrat zélé a recompté : cinq moois et vingt-neuf jours. Samuel doit retourner en cellule pour vingt-quatre heures !
La prison étant surpeuplée, il est casé avec un certain Bruno Leblanc, dit "le furieux", condamné à vingt ans de réclusion pour meurtre. Ce personnage tourmenté et caractériel est capable de redoutables accès de violence.
Commence alors un huis-clos angoissant entre deux êtres aux fonctionnements opposés : Samuel qui réfléchit, qui analyse, qui cherche à convaincre, et Bruno qui n'obéit qu'à ses pulsions, qui frappe, qui ordonne et qui refuse. La culture de l'un contre la nature de l'autre. L'intelligence peut-elle contrôler le tourment ? L'impulsion peut-elle s'accomoder de la réflexion ?
Leurs destins devaient simplement se croiser. Ils finissent par se percuter.
Extrait...
Le décor représente une cellule de prison. Il y a trois lits, dont un seul semble occupé au début. Les murs sont nus, à part quelques photos accrochées. Au fond se trouve un coin toilette avec WC. L’ensemble tient en quinze mètres carrés au maximum.
Au lever du rideau, un homme (Bruno) est au milieu de la pièce. Il est en tee-shirt et il fait des pompes avec une volonté farouche de se défoncer. Il a environ quarante ans.
On entend le bruit des clés dans la serrure. L’homme s’arrête et se relève, un peu essoufflé.
Un autre homme (Samuel) entre. Il a la trentaine, porte des lunettes et est moins costaud que le premier. Il marque un temps d’arrêt, salue d’un petit signe de tête. Bruno, l’instant de surprise passé, gueule vers la porte qui vient de se refermer.
Bruno – Hé ! C’est quoi, ce cadeau ? Je suis en isolement, ou pas ?! Hé !! Enlevez-moi ce type, j’ai pas demandé de petit copain ! (Un temps. Les deux se regardent.) Putain…
Sam – Ne vous inquiétez pas, c’est juste pour une nuit.
Bruno – Ah ouais ? Tu es la pute de service ? Tu fais le tour des Haute Sécurité, une nuit par cellule ?
Sam – (Après un sourire forcé et un regard autour de lui : ) Je prends quel lit ?
Bruno – Pas le mien. (Sam choisit un des deux autres lits…) Ça veut dire quoi, juste pour une nuit ? Tu es condamné à 24 heures, et on te colle dans le quartier des peines maxi ? Tu te fous de ma gueule ?
Sam – Je ne me permettrais pas. Non, c’est un caprice de l’administration. (Il entreprend d’installer son drap et sa couverture…) En fait, j’avais pris six mois. La semaine dernière, j’ai été libéré…
Bruno – Et dehors tu t’emmerdais, tu as demandé à revenir !
Sam – Pas vraiment. Un gratte-papier du tribunal, comme ça pour s’occuper, a vérifié mon dossier, il a compté, recompté, règle de trois, preuve par neuf tout ça, et il a vu que j’avais purgé seulement cinq mois et 29 jours… (Un temps. Regard incrédule de Bruno.) Alors ils sont venus me rechercher pour que je fasse mon dernier jour de tôle…
Bruno – C’est bien ce que je disais : tu te fous de ma gueule.
Sam – Même pas. L’administration a ses raisons que la raison ignore…
Bruno – (Il cogne un grand coup dans le mur. On le devine extrêmement violent.) Merde !!! Putain c’est quoi, cette embrouille ? L’année dernière, ils avaient dit qu’ils ne colleraient plus jamais personne avec moi ! Solitude à perpète !… (Sam est inquiet et impressionné.) Qu’est-ce que tu fous là ? J’y crois pas, à ton histoire ! Ils t’ont foutu chez moi, c’est pour me tester. Pour me provoquer ! Tu as l’air d’un petit mec minable et gentil qui a tiré une peine de principe pour un enculage de mouche, et si ça se trouve tu es un tueur en série complètement barjot ! (Il recogne le mur.) Solitude à perpète, ils avaient dit !…
Sam – Vous n’êtes pas obligé de me croire. C’est complètement nul, revenir pour faire le dernier jour. Je suis le premier à trouver ça nul, vous pouvez être sûr ! C’est tellement incroyable que ça ne peut pas s’inventer ; c’est obligé d’être vrai ! (Bruno le regarde durement.) … Je me case dans un coin, je ne fais pas de bruit, je ne dérange rien, j’attends vingt-quatre heures et puis voilà… Je comprends que ça vous agace, mais bon, demain…
Bruno – Le mec l’année dernière, ça leur a pas suffit…
Sam – Et je vous jure, la nuit, je ne ronfle pas.
Bruno – (Plus pour lui-même : ) Ils savent bien que j’y arrive pas… Ils savent bien. (Il se prend la tête dans les mains. Long silence.)
Sam – (mal à l’aise) Je m’appelle Samuel… Sam, si vous préférez.
Bruno – Je préfère pas. Pas de familiarité, on n’est pas intimes.
Sam – D’accord. C’était juste pour… En voisins de paillasse, on ne va pas se donner du « monsieur », non plus…
Bruno – Samuel.
Sam – Et vous ? C’est comment, votre nom ? (Pas de réponse. Bruno semble s’être renfermé dans un monde de tourments intérieurs.) Ce petit renseignement, ce n’est pas pour chercher l’intimité. C’est une simple commodité.
Bruno - … Tu ne devineras jamais.
Sam – C’est pour ça que je demande.
Bruno – … Le furieux.
Sam - … Pardon ?
Bruno – (Il crie :) Le furieux ! (et il se radoucit aussitôt en souriant, content de son effet.) C’est comme ça que la plupart des gens m’appellent. Mon vrai nom, c’est Leblanc. Paraît que ça me va pas. Ça fait penser à une colombe, à un agneau. Ça me va pas.
Sam – En blanc, il y a aussi des ours. Des loups, même.
Bruno – On y pense moins. Je suis trop dégueulasse pour qu’on m’appelle Leblanc.
.../...